Chili : Lettre de Luciano Pitronello

L’ABÎME NE NOUS ARRÊTE PAS

Communiqué à un an de l’explosion qui m’a presque coûté la vie.
Premiers jours du mois de juin, 2012.

Aux consciences rebelles, à mes compagnons éparpillés à travers le monde.

Plus d’un an s’est écoulé depuis que tout a changé pour moi, ce matin froid du premier juin de l’an dernier, et je crois que de ne pas m’exprimer à ce sujet ce serait jouer le jeu de ce qui me retient prisonnier ici, à l’hôpital de la prison Santiago 1, et de plus, ce serait un déshonneur envers moi-même, mais surtout envers vous, mes chers compagnons qui se font du soucis pour moi.

Je dois vous dire, j’ai voulu faire un bilan à un an de tout ce qui s’est passé, mais je ne l’ai pas déclaré publiquement pour deux raisons : la première c’est parce que ce texte était trop compromettant, et la seconde, et la plus importante selon moi, parce que je n’analysais réellement rien dedans, ça n’était qu’un recueil de frustration, de ressentiments et de haine qui déblatérait contre tous, où je maudissais la chance que j’avais laissé courir. Mais maintenant je souhaite le faire, je sens que j’ai la lucidité de pouvoir vous livrer quelques paroles, que je suis sûr, vous méritez.

Mais avant de commencer, je veux vous expliquer les motifs de mon retard. Les jours n’ont pas été faciles, l’enfermement permanent a commencé à faire son travail, et mon humeur a été terrible, motif pour lequel la première esquisse de ce communiqué est devenu un résumé de rage et de colère, la toute-puissance, l’agressivité et la suffisance commencent à apparaître dans mes attitudes, et devant certaines situations, simplement je ne me reconnais pas, mais je lutte, je lutte pour aller de l’avant et ne pas me trahir, en essayant de combattre contre moi-même dans la vie quotidienne, en me souvenant de moi et en n’oubliant pas qui je suis et pourquoi je suis ici.

Je commence donc là …

En ce qui concerne mes blessures et la réhabilitation, tout s’est bien passé, les exercices quotidiens et la pratique dans le travail bimanuel de la vie ont fait, et je le dis avec joie, que j’ai dépassé l’incapacité de me savoir semi-mutilé ; en ce qui concerne ma vision, elle s’est beaucoup améliorée, mais je dois continuer le traitement oculaire pour un bout de temps, et pour ce qui est des brûlures, en dehors d’être toutes cicatrisées beaucoup ont évolué positivement, mais même ainsi je dois continuer d’utiliser la tenue compressive spéciale pour les brûlures et l’huile de rosier musqué. En tout cas pour moi, ce chapitre qui concerne mon état physique est clos, la bombe ne m’a heureusement pas tué.

Mon état émotionnel a été flageolant ces derniers jours, mais cela vient de l’enfermement permanent, je sais que tous les prisonniers nous avons des hauts et des bas, raison pour laquelle je suis optimiste devant cette situation, après tout, l’enfermement ne peut pas être pour toujours, et si c’était le cas, ils auraient que ma chair, parce que mon esprit sera toujours dans la rue, au côté de chaque combattant, souriant et conspirant, et ce que je dis, je ne le dis pas en guise de consigne poétique, je l’affirme comme une réalité qui se concrétise dans la projections du rêve insurgé, où de différentes façons s’écrasent les valeurs autoritaires de domination.

La prison est dure, je ne le nie pas, mais c’est possible de lui faire face, et de ça nous en sommes témoins, comme chacun de mes compagnons, lesquels de différentes manières m’ont serré dans leurs bras pour me faire comprendre que je ne suis pas seul. La punition exemplaire dont se vante tant le pouvoir n’a rien de cela, en tout cas dans mon cas, car autant mes compagnons que moi nous ne donnons pas le ton pour que leur spectacle médiatique se réalise avec succès, et même, le seul exemple ici nous continuons de le donner nous même, empoignant notre meilleure arme : la solidarité.

Des autocritiques j’en fais beaucoup, surtout dans cet épisode qui s’appelle la prison, où j’ai tiré le pire de moi, raison pour laquelle je présente avec humilité mes excuse publiques à chacun des compagnons à qui d’une façon ou d’une autre j’ai montré les dents, à ceux que j’ai attaqué seulement par envie de décharger ma colère, à ceux que je ne veux pas voir ni écrire pour la rage et l’envie que génère en moi leur condition, et surtout, je demande pardon à tout ceux qui ont du supporter mon humeur, des moments désagréables et mon mauvais caractère pour le simple fait de vouloir être solidaire avec moi. Ainsi je dois le confesser, je n’ai pas su être à la hauteur des circonstances, de votre solidarité, qui est énorme, mais nous sommes ici disposés à continuer, à tomber et à nous relever pour apprendre les erreurs, c’est ça l’idée non ?

Si je dois faire une critique constructive ça serait seulement qu’il existe peut-être un manque d’information de première main sur ce que c’est de vivre les conséquences d’avoir fait le choix d’une vie rebelle, sur ce que c’est de vivre en prison et dans l’isolement, ce que cela implique, comprendre d’une façon plus proche le stigmate d’être considéré comme un terroriste et ce qui se passe dans nos vie quand ça nous arrive, nous rapprocher plus de thématiques comme la clandestinité et l’exil, qui sont des situations récurrentes au sein de la lutte pour la liberté, d’une façon plus réel et moins imaginaire, et enfin commencer à plus parler des tortures, des méthodes que l’ennemi applique, la délation comme valeur de base pour un État-policier, la mutilation comme possibilité dans la guerre contre l’autorité, la douleur et l’agonie comme faisant partie de la vie des guerriers, et comment chacune de ces possibilités difficiles peuvent s’affronter, au delà de la spéculation et la charlatanerie.

Si il s’agit de partager ma maigre, mais non moins intense, expérience dans ce sens, je dirais que le travail de la prison et l’isolement ont plus à voir que tout autre chose dans la démotivation morale, tu commences à n’en avoir rien à faire des autres, de ce qui se passe dehors, tu t’attaches à la réalité carcérale, c’est ça ton monde maintenant. Qu’est-ce que ça t’apporte de savoir ce qui se passe dehors si t’es toujours dedans ? Tu commences à faire de moins en moins attention à toi-même, tout t’est égal, tu deviens méprisant envers les autres et ce qu’il y a autour, les efforts des autres pour te faire sourire commencent à être de moins en moins appréciés, parce que les autres ne vivent pas ton cauchemar, il en découle que tu perds la peur de quoi que ce soit, parce que tu sais que tu as tout perdu et tu es au fond du gouffre, t’as raté ta vie, tu deviens hostile et agressif, cherchant là dedans que tout s’arrête bientôt, que les matons te tabassent pour les insultes que tu leur distribues tous les jours, et que, si tu as de la chance, ils iront trop loin et tu finiras mort, pour enfin te reposer de la psychose que tu charriais ou, dans le pire des cas, que d’autres prisonniers fassent ce boulot pour montrer qui c’est le plus fort. Lorsque la psychose de l’enfermement avance, les gestes solidaires commencent à nous importer peu, tu te trouves des pièges émotionnels comme : pourquoi donner de l’importance à un geste solidaire si je continue d’être prisonnier ? Ou pire encore, des phrases prononcées telles que «Eux ne sont pas en train de subir les conséquences comme moi», et tu maudis ta malchance ; mais les bonnes gifles d’amour et de tendresse sont nécessaires pour se prémunir contre la nocivité de ces pensées, c’est à dire, c’est vraiment stupide de croire que juste nous nous subissons les conséquences de l’enfermement, et il n’est pas question de vouloir que nous subissions tous ces conséquences, mais le sentiment de ne pas se trouver seul et désemparé nous rend fort, c’est pour ça que lorsqu’un compagnon est fait prisonnier il ne s’agit pas seulement de son enfermement/punition, il y a de nombreuses âmes nobles qui décident d’accompagner le compagnon dans ce nouveau scénario, se solidarisant avec lui, l’assistant, lui écrivant, parlant de sa situation autour de lui, le revendiquant dans la rue avec des tracts, des brochures, des affiches, en criant son nom dans les manifestations, démolissant les symboles du pouvoir en son honneur, etc ..

La prison et l’isolement font ce travail, tu commences à creuser ta propre tombe et tu ne fais que te plonger dedans, jusqu’à ce que tu finisses par t’entendre dire des phrases aussi absurde que «tu es seul», et le pire de ce piège auto-imposé c’est que nous-même nous nous chargeons d’éloigner les outils qui peuvent nous aider à ne pas dépérir, et ensuite, de façon pathologique, nous nous plaignons et nous déprimons à cause de l’oubli dans lequel on nous a enterré, parce que maintenant personne ne se souvient de nous, plus personne ne se solidarise avec nous, le désespoir nous ronge de l’intérieur, et ce que nous pensons, ça serait notre meilleure arme pour affronter l’adversité, a été écrasé par les murs du silence, notre volonté réduite en miette, raison pour laquelle tes projets deviennent sans importance, tu te décourages facilement, le future devient incertain, tu commences à perdre l’envie de vivre et une nuit d’angoisse tu finis par te pendre dans ta cellule.

C’est pour ça que pour ne pas tomber dans ce genre de dynamiques il est important de s’observer constamment et de s’évaluer, en s’accrochant aux choses/personnes/circonstances qui nous font du bien, et en s’éloignant de ce qui nous est nuisible (dans la mesure du possible), parce qu’il est certain que l’état de psychose carcérale n’arrive pas du jour au lendemain, c’est un monstre qui va couver à l’intérieur de nos têtes et cœurs avec le temps qui passe, et c’est effectivement un processus progressif, dont nous pouvons nous apercevoir, et le combattre avant qu’il ne soit trop tard.

Je dois le dire, à moi jamais on ne m’a dit ce que signifie l’enfermement permanent (et encore moins comment l’affronter), mon approche la plus réaliste avec le sujet s’est faite au travers d’anecdotes dans des livres, et le reste venait de mon imagination, avec ça je ne dis pas non plus qu’aujourd’hui je ne suis pas prêt à assumer les conséquences des postures de vie que j’ai choisi, mais définitivement, ça m’aurait été d’une grande aide. Mais bon, au moins dans mon cas j’ai essayé de l’affronter en m’armant de projets dans lesquels m’impliquer, même depuis ma condition, c’est important de trouver un sens à tes jours, ça peut être des choses simples, lire un livre et donner ton opinion, écrire avec d’autres personnes privées de liberté ou non, écrire de la poésie, de la musique, apprendre à dessiner, faire des exercices physiques, etc … mais je vais rajouter ici, nos projets les plus importants, en tout cas dans l’enfermement permanent, doivent être ceux qui requièrent seulement notre disposition et volonté, et avec ça, je ne me ferme pas à la possibilité de contribuer à des projets qui sont au delà de nos limites physiques, tout en prenant en considération que ces derniers peuvent charrier des torrents de frustration : que la visite n’a pas eu lieu, qu’il n’a pas répondu à mes lettres, qu’il a oublié de m’amener ceci ou cela, que nous ne nous organisons pas autour de certaines thématiques, et si le sens de nos vies se limitait uniquement à des projets de la rue, avec quelques faux-pas de ce genre nous serions abattus moralement de façon plus ou moins rapide ; c’est pour ça que je crois qu’il faut maintenir deux types de projets, un qui nous fasse garder le contact avec l’autre côté du mur, et l’autre qui ait plus à voir avec un travail individuel qui puisse se générer y compris dans des conditions d’enfermement maximum, au cas où quelque chose d’infortuit se produirait, que ce soit la perte de la communication avec l’extérieur, ou la confiscation du matériel que nous utilisons dans nos projets individuels, notre moral tombe à zéro. C’est important de se créer des réseaux de soutien pour ne pas s’effondrer sur le chemin, être observateur et analyser ce que t’offre la réalité carcérale et prendre d’elle ce que nous estimons convenable, c’est à dire, si la prison te maintient dans un isolement total tu peux profiter du silence de ce dernier ressort pour lire, écrire ou réfléchir, d’un autre côté, si elle te donne la possibilité de sortir dans la cour, tu peux en profiter pour faire des exercices ou discuter avec d’autres prisonniers (on peut toujours apprendre des choses utiles) et ainsi substantiellement, la possibilité d’élaborer un plan de fuite ou de mutinerie est toujours là, indépendamment du régime auquel ils nous soumettent.

Si je dois parler d’une autre des conséquences possibles de cette guerre dont certains se gargarisent tant, je pourrais dire qu’être reconnu comme un ennemi de l’autorité n’est pas facile, d’autant plus lorsque dans les médias tu es catégorisé comme un terroriste, ton entourage social va être touché quasi unanimement, la famille, les amis, les compagnons prennent la fuite, te tournent le dos et souvent nient qu’ils te connaissaient, ils sont peu les courageux qui osent rester à tes côtés, l’opinion publique fait son travail et par toutes les méthodes possibles le système essaie de t’isoler, ils n’ont plus besoin de se salir les mains avec la peine de mort, aujourd’hui les méthodes sont plus sophistiquées et démocratiques, elles font en sorte que ta vie n’ait plus de sens parce qu’ils t’éloignent de tout ce en quoi tu faisais parti, et ça ils ne le font pas que physiquement en te mettant dans une cage, ils le font aussi de manière psychologique en soumettant tes convictions, en te diabolisant collectivement, en effaçant les souvenirs de ce que tu as été autrefois et en te transformant en un cas télévisé, une attaque explosive ratée, un braquage de banque avec un policier abattu ou un membre d’une organisation terroriste fantasmagorique, c’est ça que tu es, c’est ta lettre d’introduction, et c’est tellement comme ça, que si tu ne redeviens pas conscient que tu es beaucoup plus que ce que la presse dit, tu finis par le croire, et Mauri peut en donner le meilleur exemple. Pourquoi il est connu ? Pour un 22 mai malheureux, et est-ce que quelqu’un a entendu parler des fois où il aidait les vieilles de son quartier avec leurs sacs de course ? Nous-même nous nous chargeons de le réduire à une date dans le calendrier. La société te frappe psychiquement, tes jours n’ont plus le même sens qu’avant, tu ne vaut rien et tu as abîmé la vie de tous ceux qui sont autour de toi, pourquoi continuer d’exister ? Pour causer plus de souffrance ? Ils n’ont plus besoin de se salir les mains avec ton sang, s’il te plaît, nous sommes des gens civilisés, en contrepartie, ils t’incitent à ce que tu en finisses toi-même, parce qu’ils t’ont réduit à un simple épisode, c’est ça que tu es, un terroriste qui ne sait que produire la souffrance autour de lui, ainsi la meilleure chose que tu puisses faire c’est de faire cette faveur à tes êtres chers, si il te reste encore du cœur, et d’en finir avec ta vie. Voilà le discours caché que reproduit notre resplendissante démocratie chilienne, il n’y a plus de révolutionnaires, maintenant ils nous réduisent à de simples terroristes, parce que bien sûr, un révolutionnaire est une personne avec des sentiments, des idées, amoureux de la liberté et compagnon des opprimés, c’est à dire, quelqu’un digne d’être imité, par contre, le terroriste est une ombre impunie qui n’a pas de coeur et qui est obsédé par l’usage de la violence à cause de traumatisme dans son enfance, et comment affronter cette situation ?

Pour ma part j’ai appris à me tenir à distance de l’opinion publique, qui est bien souvent l’opinion de la presse bourgeoise, avec le simple fait d’analyser son objectif on coule une grande partie de son discours, même si je ne nierai pas que souvent ils ont su dans leur travail me blesser profondément, surtout lorsque tu te rends compte que ces opinions sortent de la bouche des personnes que tu aimes, que ce sont elles qui te mettent entre deux feux, ou tu te tues ou tu continues de nous faire du mal, ouah, comme c’est difficile, comme c’est fort, ainsi c’est à ton tour de décider, ou toi ou eux, ou toi ou ceux que tu aimes le plus, et si tu décidais pour toi ? Quel sens aurait la vie sans eux ? Tu te choisirais ? Tu les aimes si peu ? Toi ? Eux ? L’instinct de survie ou ton amour ? Lequel est plus fort ? Apparemment aucune n’est l’alternative correcte, mais je choisis ma vie, si je ne m’aime pas c’est impossible que je puisse aimer les autres . Et je finis par expulser de ma vie et de mon cœur plusieurs personnes pour toujours, je continue d’avancer, seul et blessé pareil que ce matin là, embrouillé, avec la mort qui me guettait et rouge de colère, la vie m’a frappé une nouvelle fois, mais ça n’est qu’un chapitre de plus et je me relève, cette fois avec l’aide de celle qui n’a jamais manqué, la solidarité. Maintenant j’y réfléchis, à un an de l’explosion qui m’a presque coûté la vie, et je ne regrette pas ces décisions, ça a été le mieux, la douleur à l’égal qu’avec la bombe, a été momentanée, mais la vie a continué et la souffrance de ces épisodes s’est estompée petit à petit avec le temps, la vie, la lutte continuelle, et ce qui aujourd’hui paraît infranchissable ne sera pas plus qu’une anecdote, un chapitre de plus dans cette existence de combat.

Jusqu’à maintenant j’ai parlé de deux conséquences possibles dans la lutte révolutionnaire, la prison et celle d’être reconnu comme un ennemi de la société, mais je n’ai pas encore parlé de la conséquence qui se voit le plus dans mon cas, la mutilation de nos corps, et comment nous pouvons continuer de lutter malgré tout cela. Si je parle de rééducation et de comment la mutilation de nos corps devient comme une croix que l’on doit porter toute sa vie, je crois que c’est important de signaler que chaque cas est particulier, avec ses avantages et inconvénients propres. Mais je suppose qu’en fin de compte il y a beaucoup de similitudes. Au début tu est découragé, c’est comme un cataclysme qui a secoué ta vie et tous les sentiments positifs se trouvent sous les décombres de la mutilation, l’envie que ce qui t’est arrivé soit un mauvais rêve duquel tu te réveilleras, tu deviens obstiné avec ce qui est évident, ça n’a pas pu t’arriver à toi, il doit y avoir une explication, mais la seule explication est celle que te dit le miroir, les jours passent, tu déprimes, tu penses que tu ne le surmonteras jamais, tu dois demander de l’aide pour certaines tâches basiques et ça génère en toi de l’humiliation, tu deviens odieux et cette nouvelle situation te frustre, les gens qui essaient de t’encourager remarquent ta résignation, la vie ainsi n’a pas de sens, mais ils essaient de te soutenir malgré ton humeur, tu es irrité, tu ne veux même pas faire des exercices ni te rééduquer, tu veux tout envoyer balader, t’ôter la vie, ça, ça paraît être une option, mais tu as peur qu’en le tentant ça devienne pire, tu est devenu lâche, tu t’embrouilles, tu pleures les nuits de solitude et tu te montres comme un fauve en face des autres, tu es blessé, tu le sais, mais tu dois soigner ton cœur pour pouvoir commencer à te réhabiliter. Si tu arrives à arriver jusqu’à cette partie, tu as fait un pas sur le chemin de la victoire, ta victoire, parce que c’est ta bataille, maintenant tu dois t’armer de patience, la frustration est au coin de la rue, une deux, trois, cent fois tombé, personne n’a dit que ça serait facile, mais regarde-toi, tu ne le fais pas bien mais tu le fais, et seul, sans aide, une tape dans le dos, le reste c’est de la pratique ils te disent, allez, si j’ai pu le faire une fois je pourrai à nouveau, tu regardes autour de toi, physiquement tu es seul, et tu y arrives, tu souries, ça fait combien de temps que t’avais pas souri ? Tu n’as besoin de le montrer à personne, tu l’as montré à toi-même, tu es un guerrier qui fait un de ses meilleurs combats, tu te résignes à ne pas mourir, ça c’est pour les courageux, quelques faux pas de plus, la moquerie de ceux de toujours, la réalité se charge de ne pas te rendre les choses faciles, tu tombes,  c’est difficile, mais tu n’as pas encore renoncé, c’est un fait, tu regardes derrière, tu as trop avancé pour t’écrouler juste là, maintenant tu as une raison de continuer, tu ne peux pas leur faire faux bond, à ceux qui t’aiment et veulent te voir heureux, mais surtout, tu ne peux pas te faire faux bond à toi même, tu te l’es dit une fois quand les choses devenaient difficiles, si tu es guerrier pour toute la vie et que tu serres les dents face à la honte, parfois tu te dis des choses horribles, tu es implacable avec toi même, et d’autres fois tu te sens le plus orgueilleux du monde, tu n’es pas tombé malgré tout, les jours passent, tu commences à prendre le rythme de tout ça, et tu n’es plus amer face à ton reflet, tu commences à l’accepter, tu apprends des choses nouvelles pour ce contexte, mais pas si nouvelles pour la vie elle-même, tu réapprends à apprendre, les choses maintenant se voient d’une nuance différente et un soir alors qu’il fait encore jour tu te donnes un ultimatum, si je ne refais pas ma vie à cette date je ne continuerai pas avec cette folie …

Finalement tu persistes, tu arrives à le dépasser, arrive cette date qui doit faire l’évaluation de ta capacité et le sourire sur ton visage montre que tu as largement réussi l’épreuve , et donc tu ne te sens plus invalide ou handicapé, ni rien, tu es un guerrier de plus, prêt à affronter quoi que ce soit.

En ce qui concerne mon cas particulier, je suppose qu’il m’est arrivé ce qu’il arrive à la majorité des accidentés graves, j’ai voulu trouver une solution rapide et simple (la mort), mais beaucoup ont essayé de me dissuader, certains sans prendre des gants, à ce qu’au moins je ne le tente pas et ainsi, en m’accrochant à la solidarité je me suis maintenu jusqu’à ce que la récupération commence à donner ses premiers résultats, et avec ces antécédents, je me suis mis dans la tête que je pouvais me relever de cette chute, je me souviens que l’obstination et l’entêtement on beaucoup joué en ma faveur, parce qu’il y avait des gens qui ne croyaient pas en ma rééducation ( y compris des spécialistes), mais finalement c’est moi qui ai émit le meilleur jugement, ça n’était qu’une question de temps, je me souviens aussi que j’ai du passer par des moments honteux sur lesquels je préfère ne pas m’étendre hahaha, et ces moments me sont arrivés parce que j’allais contre le temps dans ma rééducation, j’essayais de faire/pratiquer tout, y compris sans avoir essayé les choses, et je dis que j’allais contre le temps parce que je voulais entrer en prison le plus rééduqué possible, je ne pouvais pas imaginer qu’un maton m’assiste, et par chance ça n’est jamais arrivé. Après être entré en prison un 22 novembre avec l’estomac serré et un bon moral, je me preparais à profiter de ce nouveau scénario d’enfermement total pour finir de me rééduquer totalement, et les moments où à cause de ma condition physique ils m’ont ridiculisé n’ont pas manqué, mais devant ces situations je me mordais la langue et je pensais que tôt ou tard ils regretteraient leurs moqueries, parce que moi plus que personne je savais qu’ils crachaient contre le ciel, que bientôt je serai totalement rétabli et qu’ils n’oseraient pas me parler comme ça, le temps passa, lentement, il s’est écoulé lentement comme une tortue, je faisais des exercices tous les jours, sans arrêt, qu’il fasse froid ou chaud, j’étais discipliné avec moi-même, et c’était une question de pratique, patience et persévérance ( les 3 «P» comme je les appelais) pour me trouver totalement rééduqué, et bon, voilà, regardez-moi à un an de l’explosion qui m’a presque tué, qui a dit que je mordrai la poussière de l’humiliation pour toujours ? Qui a dit que je serai abattu pour le reste de ma vie ? Qui a dit que la lutte ne nous rend pas grands ? Si mes idées peuvent m’amener à perdre la vie, elles peuvent aussi m’amener à la récupérer, ça a toujours été mon pari, c’est pour ça que je me suis lancé avec toutes mes forces dans la lutte, parce que je reconnais en elle la grandeur de briser les chaînes, et il suffit de m’observer dans le quotidien pour confirmer cette affirmation, si en leur disant que je peux jusqu’à enfiler une aiguille, comme ça, dans ma situation, sans 8 des 10 doigts des mains, je peux faire mes lacets, cuisiner, laver, faire des jolis cubes d’origami, et ce dont je suis fier, je peux même réaliser toutes les tâches que je faisais avant, bien sûr la seule petite différence c’est que je prends un peu plus de temps qu’avant, mais c’est un détail si petit, si infime si je le compare avec la proximité que j’ai eu avec la mort, que je l’ai passé sous silence, parce qu’après tout je l’ai toujours su, pour les révolutionnaires l’impossible n’existe pas, et ma récupération splendide en est la preuve.

Ce qui est important c’est de ne jamais perdre l’esprit de lutte, jamais, peu importe que la situation soit mauvaise, parce que pendant que tu ne trahis pas ton âme et ton cœur, le reste devient presque un détail, nos corps peuvent être faibles, c’est certain, mais ce qui nous rend grand n’a rien à voir avec la chaire et les os, ce qui fait de nous des géants ce sont nos convictions et le fait de savoir que nous faisons ce qui est correcte.

Maintenant, j’écris ces lignes pas seulement pour avertir des conséquences néfastes que peut amener avec elle la lutte révolutionnaire, je le fais aussi pour contribuer à la création de nouvelles, et pas si nouvelles, méthodes pour affronter les chemins difficiles sur lesquels peuvent nous mener nos décisions. Et c’est à cette occasion que je peux seulement contribuer par quelques exemples, raison pour laquelle j’incite les compagnons à partager leurs expériences, car les possibilités de lutte sont infinies : folie, viol, exil, mutilation, victoires, tortures, clandestinité, rires, prison, douleur, délation, amnésie, dépendance, coups, humiliations, morts, toutes, aucune, d’autres, et tellement d’autres, et combien des guerriers, aujourd’hui dans la rue, qui combattent contre le pouvoir et ses desseins savent tout ça ? C’est à dire, est-ce que nous sommes préparés pour assumer le prix de la guerre sociale si nous ne savons pas ce genre de choses ? Pouvons-nous parler de non repentir sans prendre en compte tout ça ? Est-ce que nous comprenons ce que veut dire la prison ? Ce que ça implique ? Comprenons-nous ce que ça signifie qu’un compagnon devienne fou ? Jusqu’à quand comprenons-nous les conséquences de nous déclarer ennemis de l’État/Capital ?

Dans une lutte contre le système dans sa totalité nous avons tout à perdre, et acceptons-nous ces conditions avant de nous embarquer dans la recherche de nos rêves ? Moi je suis de l’avis de savoir dans quoi on est impliqué, pour aussi savoir ainsi s’en tenir aux conséquences, les assumer, et s’en tirer, parce que dans le cas contraire il arrive ce dont prévenait une chère compagne qui me manque, nous nous convertissons dans la pire propagande de lutte.

Si nous y réfléchissons attentivement, ça n’est pas étrange que beaucoup de compagnons d’autrefois aient choisis l’auto-exil comme réponse à certaines de ces conséquences, et c’est parce que c’est réellement très difficile de continuer la lutte dans une région où médiatiquement et socialement le système réclame ton anéantissement, après tout comment on peut affronter le système lorsque celui-ci est obsédé par le fait de t’affronter à toi, en t’ayant individualisé, localisé et signalé ? Maintenant, je crois que si c’est vrai que l’exil d’autrefois a servi pour s’abriter dans le confort d’une vie normale, loin de la criminalisation des idées révolutionnaires, de nos jours, et avec la vigueur de la proposition des compagnons de la Conspiration des Cellules de Feu d’armer un Front Révolutionnaire International, met en évidence que peu importe où on se trouve, la lutte continue jusqu’à la fin, parce qu’il importe peu que nous soyons prisonniers, exilés dans d’autres régions, ou clandestins sur un autre continent, la lutte est unique et elle dépasse les barrières des nations et frontières, parce qu’indépendamment de la langue que nous parlons ou de notre manière d’être qui nous différencie, la lutte continue en étant contre des structures du pouvoir, contre les valeurs de l’autorité et contre les logiques d’exploitation et de domination, fraternisant de cette façon avec chacun des guerriers qui se battent pour le même objectif que nous, la liberté. Je me reconnais dans la lutte internationaliste, vu que je suis bien placé pour connaître ses excellents résultats, raison pour laquelle j’approuve cette requête pour m’unir à la proposition des compagnons en Grèce, embrassant l’initiative de la F.A.I./F.R.I. comme un projet qui appelle aux même critères que moi, en espérant que ce communiqué soit un vrai et réel apport, surtout pour les compagnons qui vivent des situations similaires à la mienne et à ceux qui dans un future, non enviable, aient à passer par ça.

Si je dois faire le bilan de tout ça, à un an de l’explosion qui m’a presque coûté la vie, ma conclusion est positive, très positive, et je ne nierai pas que les choses ont été difficiles, parce qu’il y a eu des jours obscures comme la profondeur de la mer, où tout s’écroulait autour de moi, ma vie telle que je l’avais construite était foutu en l’air, mais ça m’aida, avec la douleur que ça contractait, à comprendre que ce que j’avais construit je ne l’avais pas fait de façon suffisamment solide pour supporter la praxis de mon discours, si la famille, les amis, les amants entreprirent de voler à mes côtés, d’une façon beaucoup plus profonde que seulement physiquement, en me voyant dans cette situation, où beaucoup pensèrent qu’il valait mieux que je me noie seul avant que je n’entraîne plus de personnes avec moi, car ils croyaient que je ne pourrai jamais me relever de ça, si toutes ces personne qui m’ont sous-estimé parce que dans leur petitesse ils ont pensé que pas même eux seraient capables de s’arrêter dans une chute comme la mienne, aujourd’hui ils ne sont pas à mes côtés, et c’est seulement par médiocrité, et qu’ils le sachent, je n’ai pas manqué d’affection pour leur pardonner, après tout, aucun de nous n’était préparé à ça. Mais comme dans la dureté de mes paroles et de la vie, les gestes d’amour et de dévouement absolu n’ont pas manqué, me faisant savoir que malgré tout ils seraient là-bas, avec moi, dans les bons et les mauvais moments, jusqu’à la fin, réaffirmant les liens déjà forgés, peut-être seulement avec un regard incrédule de camaraderie, en parlant de tout en faisant les cent pas, en partageant un goûter ou en nous critiquant fraternellement sur le banc d’une place.

Le pouvoir me voulait en dehors de la lutte, ils ont voulu me suspendre pour toujours le 1° juin 2011, et y compris aujourd’hui ils essaient, c’est un truc à remarquer, parce que je suis connu, ou à cause de l’endroit où je me trouve, mais pour moi rien de ça ne s’est arrêté, j’ai continué, je me suis levé, j’ai montré à nouveau mes griffes et j’ai continué de lutter, en m’affrontant constamment avec l’ennemi, comme dans mes meilleurs moments, parce que je ne suis pas un guerrier dont on doit se rappeler avec nostalgie, je suis un compagnon de plus, un de plus dans la meute, le seule différence c’est que je suis dans les intestins de la bête carcérales, la seule chose qui me différencie des compagnons de la rue c’est la scène où nous nous affrontons, mais si vous êtes capables de risquer votre liberté et jusqu’à la vie dans la lutte qui nous réunit, pourquoi est-ce que ça devrait être différent pour moi ? À un an de l’attaque ratée de la succursale bancaire de la Santander, je me suis levé avec fierté, j’ai vaincu, même si ils m’assoient sur le banc des accusés, parce que j’ai su prendre les rênes de ma vie avec mes propres mains, j’ai triomphé devant la vie marchandisée qu’ils veulent nous imposer et devant la mort comme seule issue, mais cette victoire n’est pas seulement la mienne, quelle arrogance de ma part ça serait de le croire, parce que sans les courageux compagnons qui ont osé me donner leur courage et leur tendresse, soyez en sûrs, aujourd’hui je ne serai pas en train d’écrire ces lignes, c’est pour ça, nous, les combattants de la nouvelle guérilla urbaine, nous sommes sa défaite. À toutes ces belles personnes qui comprennent que la guerre sociale c’est beaucoup plus que des bombes, des balles et de l’essence, et qui savent que la solidarité est beaucoup plus qu’un passe-temps où investir le temps disponible, à tous ceux qui n’arrivent pas à trouver le sommeil alors qu’ils savent qu’un des leurs souffre, a ceux qui, si ils n’ont pas de temps disponible le cherchent, manquant au travail ou en cours, parce qu’ils savent que le maintien du moral du compagnon dépend d’eux, à tous ceux qui assument la drôle et excitante aventure de conquérir la liberté, aux compagnons de la F.A.I./ F.R.I., à mon cher ami Reyhard Rumbayan (Eat), qui avec ses gestes nobles m’a donné la force lorsque je faiblissais, à tous les absous du montage du caso-bombas, que leur liberté représente un sourire lorsqu’il semblait y avoir un orage, aux compagnons de la Conspiration des Cellules de Feu, qui avec leur dignité me motivent à continuer de lutter, à Gabriel Pombo da Silva, Marco Camenisch et à tous les compagnons perquisitionnés et arrêtés dans la razzia répressive contre le mouvement anarchiste en Italie, à Mauri qui m’a appris qu’un loup serre sa mâchoire même lorsqu’il est mort, aux collectifs autonomes qui attaquent avec détermination, aux compagnons clandestins, exilés et séquestrés, aux courageux solidaires, aux consciences rebelles, à vous tous je vous dédie ces lignes, je vous envois une chaleureuse accolade et je vous dois l’acharnement de me maintenir en vie, parce que vous devez le savoir, vous avez été de l’oxygène lorsqu’il n’y en avait pas.

Parce que lorsque vous avez crié « courage compagnon » je me suis senti plus fort que jamais !!

Parce que ni la prison, ni l’agonie, ni la mort ne nous arrêteront !

Vive le Front Révolutionnaire International !

Vive la Fédération Anarchiste Informelle !

Luciano Pitronello Sch.

Prisonnier Politique Insurrectionnaliste

2 thoughts on “Chili : Lettre de Luciano Pitronello”

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *